Un passé qui ne peut pas mourir

Sainte-Adèle, une nuit de juillet 1933. Un homme revient de l’une de ses longues promenades nocturnes au sein de ses collines natales qu’il affectionne. Leurs silhouettes, familières et rassurantes, dominent le village de Sainte-Adèle toujours endormie sous le ciel bleu de Prusse de cette fin de nuit d’été. D’ordinaire, ses vagabondages lui apportent paix et calme, mais pas cette nuit. Il est agité. Les idées se bousculent dans sa tête, se mettent en place, se cristallisent. Fébrile, il rentre chez lui, sans bruit, et s’installe à son bureau. D’un trait, il jette sur le papier le premier chapitre d’une œuvre qui changera le cours de son existence. Une œuvre relatant la vie et la petite histoire de personnages auxquels des générations s’attacheront.

Quelques semaines plus tard, Claude-Henri Grignon achève son roman Un homme et son péché. Il en fait la lecture à un groupe d’amis qui l’encourage vivement à publier son œuvre. Le manuscrit est présenté au directeur des éditions du Totem. Dès décembre 1933, le roman édité à 3000 exemplaires se retrouve en librairie au prix de 50 sous. En 1934, l’auteur remanie légèrement son texte et lui donne sa forme définitive. Le roman remportera un vif succès et fera l’objet d’une dizaine de rééditions.

L’engouement alors manifesté pour ce récit, inspiré de faits et de personnages réels, n’est que la prémisse de ce qui sera aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands succès de la littérature canadienne-française. Cette peinture des mœurs paysannes fera les beaux jours de la radio de l’époque, sera transposée sur la scène, dans une bande dessinée, au cinéma et, finalement, à la télévision dans la série culte Les belles histoires des pays d’en haut.

Le titre de l’œuvre Un passé qui ne peut pas mourir est tiré d’une citation de Claude-Henri Grignon alors qu’il présentait le tout premier épisode de la série télévisée. Une phrase aux échos prophétiques, puisqu’en 2012, la série est diffusée en reprise trois fois par jour sur les ondes d’ARTV.

Dominique Beauregard immortalise, dans son style inédit empruntant à la peinture anthropomorphe, ce moment où Valdombre — l’un des pseudonymes de Claude-Henri Grignon —, dans le silence du crépuscule, amorce l’écriture de son roman. Riche en symboles, l’œuvre présente le célèbre auteur et pamphlétaire adélois assis à son bureau, une éternelle cigarette clouée au bec, portant foulard, chapeau et bretelles. À ses pieds, un loup qui dort, blotti contre des sacs d’avoine où sont cachées des pièces d’or. Ce loup, c’est évidemment Séraphin. L’avare qui, à ce moment précis, sommeille encore dans l’encre de la plume qui lui donnera bientôt vie et qui placera les sacs dans la fameuse chambre mystérieuse dans le haut-côté où l’avare ira régulièrement caresser son or. Il s’agit également d’un clin d’œil de l’artiste à Mousseline, la fidèle chienne de Claude-Henri Grignon. Le bureau de l’écrivain est décoré d’un olivier symbolisant le succès qui bientôt fleurira. Deux magnifiques érables imposent leur silhouette et forment le cadre de la scène soulignant ainsi l’origine canadienne-française de l’œuvre.

Un passé qui ne peut pas mourir est un hommage qui s’ajoute à une série de toiles consacrée aux Grignon, l’une des familles fondatrices des Laurentides. Parce qu’ils ont été écrivains, médecins, journalistes, juge de paix et maires, les Grignon ont documenté fidèlement la colonisation des Laurentides et de Sainte-Adèle. Ils ont également joué un rôle actif dans son histoire et ont influencé son cours. Près de 80 ans après sa création, l’œuvre de Claude-Henri Grignon résonne encore, d’un océan à l’autre, même chez nos voisins du sud où certains épisodes des Belles histoires des Pays d’en haut étaient jusqu’à tout récemment diffusés.

2017-09-15T13:28:01+00:00 22 mars 2012|