Peu, mais bien ! Titre inspiré de la devise chère à Wilfrid Grignon, une devise qu’il aurait souhaité voir écrite sur chacun des lots de colonisation : « Peu mais bien ! ce qui vaut infiniment mieux que beaucoup, mais mal ! Que de vieux colons regrettent aujourd’hui leurs procédés désastreux de colonisation ! On a massacré impitoyablement les forêts ; on a défriché des centaines d’arpents de terre, quand 50 arpents suffisaient pour assurer l’existence d’une famille et d’un troupeau nombreux. »*
Aîné d’une famille fondatrice de la région des Laurentides comptant onze enfants, Wilfrid Grignon est l’une des figures marquantes de Sainte-Adèle. Reçus en 1877, il pratiqua la médecine à Sainte-Thérèse avant de s’établir à Bouctouche, au Nouveau-Brunswick. Mais l’appel du pays le poussa à revenir dans les montages qui l’avaient vu naître. Ainsi, vers la fin de 1878, sous l’insistance du curé Labelle, il s’établit à Sainte-Adèle, récemment ouverte à la colonisation, dans un village qui ne comptait que quatorze maisons. Époque de misère, de privation et de pauvreté que celle de la colonisation: « Le docteur Grignon embrassa, comme si c’eût été une vocation, ce nouveau combat de la vie, et fit preuve dans la mêlée d’un courage sans exemple. Il aima, par-dessus tout les hommes de la terre, et sa passion du sol, il la puisait dans la nature enchanteresse au milieu de ces âmes fières et rustiques, les seuls survivants de la race française, venus sur cette terre pour aimer Dieu »**.
Une agriculture qui s’annonce florissante l’incite à fonder, en 1888, la Société d’agriculture ainsi que les cercles agricoles, deux initiatives qui rendirent des services inestimables aux agriculteurs de l’époque. Le médecin « nouveau genre », sous les regards sceptiques de ses détracteurs, établit une ferme expérimentale tout près du village « Il y appliqua les nouveaux modes de culture, en fit bénéficier tout le monde ; et, il réussit si bien qu’il fut lauréat du Mérite agricole. »** Ce n’est pas un hasard si, dans son adaptation télévisuelle d’un homme et son péché — Les belles histoires des Pays d’en haut —, Claude-Henri Grignon nous présente un Léon Dalbrand qui, avec sa ferme expérimentale, sa passion pour la terre et sa grande prodigalité envers les colons, nous rappelle étrangement le père du célèbre auteur Adélois.
Maire de Sainte-Adèle de 1886 à 1892, et de 1898 à 1904, il fut également conseiller, juge de paix et préfet du comté de Terrebonne. En 1898, il fonde une pharmacie vétérinaire qui fut florissante. Conférencier agricole pendant vingt-deux ans à travers la province, il fut également un écrivain qui noircissait les colonnes de quatre quotidiens et un journaliste influent dont les articles ont largement contribué à moderniser les méthodes d’agriculture de l’époque. La plume lui « coûtait deux ou trois heures de travail tous les jours »**. On dit que ses activités l’occupaient dix-sept heures par jour. Premier levé et dernier couché au village, on le surnommait « le veilleur du village ». Né le 20 août 1854 à Saint-Jérôme, c’est le 23 juin 1915, au terme de trois années de souffrances qu’il « vit pour la dernière fois le soleil se lever sur les montagnes et le lac du village qu’il avait tant aimé ».**
Cette toile est un hommage à cet homme, à son époque, et à tous les colons qui ont bâti les Laurentides.
* Rapport du congrès de la colonisation, tenu à Montréal les 22,23 et 24 novembre 1898. Publication faite par les soins et sous la direction de «La Société Générale de Colonisation et de Rapatriment de la Province de Québec» P.120
**Histoire de la paroisse de Sainte-Adèle, L’Abbée Edmond Langevin-Lacroix qui cite un texte attribué au fils de Wilfrid Grignon, le célèbre auteur Claude-Henri Grignon.